La veuve de Carpentras a attrapé le virus ! (La Tribune 23/03/2020)
Cliente des réseaux du groupe BPCE (Caisse d’Epargne, Banques Populaires) la veuve de Carpentras découvre que son portefeuille d’assurance-vie contient des parts de fonds spéculatifs qui ont perdu entre 50 et 70% en un mois. Il s’agit en l’occurrence des fonds de H2O Asset Management, société détenue à 49,99 % par Natixis Investment Managers, filiale du groupe BPCE.
Lors de la crise de 2008, les investisseurs institutionnels du monde entier s’étaient retrouvés acheteurs de tranches de CDO subprime sur l’immobilier résidentiel américain. Le coupable désigné était les agences de notation (SP, Fitch, Moody’s) : elles avaient en effet « noté » celles-ci « AAA » c’est-à-dire la notation la plus sûre en termes de risque de crédit, donnant ainsi un blanc-seing aux investisseurs institutionnels pour y investir.
Alors que depuis 2008 la régulation est devenue de plus en plus contraignante pour l’industrie financière, comment expliquer qu’en 2020 notre veuve se retrouve dans une telle situation ?
Le levier n’est pas contraint
Pour comprendre, faisons une analogie avec l’industrie automobile. Imaginons qu’il n’existe que deux types de voiture : une Renault Clio pour le conducteur « Lambda », avec vitesse limitée à 130 km/h ; une Ferrari pour l’as du volant, pouvant aller à 200km/h, avec tous les indicateurs de contrôle de conduite possibles et imaginables.
De même, il existe en France en matière de gestion collective deux catégories : les Organismes de placement Collectif en Valeurs Mobilières (la Clio) ; les Fonds d’investissement alternatif (la Ferrari). Les fonds spéculatifs font partie de la deuxième catégorie. L’investisseur doit être « qualifié » pour pouvoir y investir, c’est-à-dire disposer de solides connaissances techniques et de moyens financiers suffisants pour accepter des risques précisément décrits dans les prospectus du fond. Ces risques sont encadrés par toute une série d’indicateurs, exactement comme ceux du cockpit de la Ferrari. Une des expositions les plus étudiées, à travers notamment des simulations, concerne l’effet de levier du fond. A titre d’exemple, juste avant sa chute début 1998, le fameux fonds Long Term Capital Management (LTCM) avait un capital de 4,7 milliards de dollars et avait emprunté aux banques 125 milliards de dollars lui permettant de prendre des positions sur des produits dérivés pour 1.250 milliards de dollars, soit 265 fois son capital. Lors de sa faillite, ses positions étaient telles que la Fed a dû organiser leur débouclage pour éviter un risque systémique.
Notre veuve de Carpentras n’a le droit, elle, que de conduire la Clio. Mais cette Clio peut elle aussi rouler à 200km/h en raison d’un effet de levier non contrôlé.
Le principal indicateur de risque imposé par le régulateur sur la Clio est en effet une mesure appelée Value At Risk (VAR), qui présente de nombreuses faiblesses. La VAR est censée prédire à partir d’une simulation historique sur l’année passée la perte potentielle maximum du fonds avec une probabilité de 99%.
Un indicateur extrêmement sommaire
Or une VAR est un indicateur qui peut être extrêmement sommaire et peu représentatif des risques réels du fond. Cette mesure qui sert à déterminer le capital règlementaire des banques sur leurs activités de marché a révélé ses faiblesses lors de la crise de 2008 et, depuis, les modèles de VAR ont été revus et durcis par le régulateur dans l’industrie bancaire.
Côté asset mangement, une grande flexibilité est laissée sur les modèles de VAR ; si bien que c’est le constructeur de la Clio qui décide comment construire son compteur de vitesse. Celle-ci peut par exemple rouler à 300km/h avec une jauge indiquant 110km/h ! C’est exactement ce qui s’est passé sur les fonds H2O, pour lesquels les positions prises par les gérants avaient sans doute des leviers et des risques induits sans aucune mesure avec l’ordre de grandeur de leur VAR.
Une lettre d’excuses
Les dirigeants de H2O ont envoyé une lettre à leurs clients le 17 mars, pour s’excuser des performances de leur fonds, disant espérer un rebond une fois les marchés stabilisés. Ce rebond n’aura sans doute jamais lieu, même si les marchés évoluent favorablement, car il est peu probable pour des raisons de solvabilité qu’ils aient pu conserver leur levier.
La veuve de Carpentras attend certainement bien davantage qu’une lettre d’excuses de son réseau bancaire et de Natixis Asset Management, qui n’auraient jamais dû la laisser investir dans de tels fonds
Quant au régulateur, espérons que sa prochaine mouture s’attaquera à éliminer les trous dans la raquette à conséquence « systémique » plutôt que d’ajouter de nouvelles procédures lourdes et pas forcément utiles.