Les stablecoins, talon d’Achille des cryptomonnaies ? (L’Opinion 14/01/2022)
Si le bitcoin reste la star des cryptos, les régulateurs s’intéressent à une autre famille de cryptomonnaies, les stablecoins, dont le développement pourrait jusqu’à mettre en danger le système financier mondial
Le bitcoin a commencé 2022 comme il avait fini 2021 : en suscitant des opinions très tranchées quant à sa valeur et à son utilité économique, sociale et environnementale. Moins connue du grand public,une famille de produits appelée stablecoins (pour « cryptomonnaies stables » ) joue un rôle très important dans la croissance de ces cryptos actifs. Or, de part de leur construction extrêmement fragile, elles pourraient réserver en 2022 de mauvaises surprises
Les stablecoins : des cryptos à prix garantis ?
Les cryptomonnaies « star » (bitcoin, ethereum) sont extrêmement volatiles (des variations de 30 % sur un mois sont fréquentes) ce qui en fait un outil très risqué, que ce soit pour un investissement ou comme moyen de paiement. A titre d’exemple, quand tel intermédiaire accepte un règlement en bitcoin, il le change immédiatement en monnaie « classique » pour ne pas prendre un risque financier. Les échanges entrele monde « crypto » et celui des monnaies classiques se révèlent à la fois coûteux en frais et lents en termes d’exécution.
Pour répondre à cette problématique, les stablecoins sont censés reproduire les devises classiques (dollar, euro…) dans le monde « crypto ». La croissance de leurs actifs est considérable avec, en 2021, une augmentation de 450 % et un encours de 156 milliards de dollars.
Pour ceux qui utilisaient le bitcoin pour des raisons illicites comme le blanchiment d’argent ou la fraude fiscale, pouvoir garder le même type d’anonymat sur des instruments se comportant comme des devises classiques présente un avantage évident.
Une autre raison de ce succès est l’arrivée des hedge funds quantitatifs sur les cryptos ; la profitabilité de leurs arbitrages y est exceptionnelle en raison notamment d’une forte volatilité et de l’inefficience de certains investisseurs, notamment les particuliers. Luke Ellis, le patron du célèbre hedge fund MAN déclarait en juin 2021 dans le Financial Times « le Bitcoin n’a aucune valeur mais est très intéressant à traiter ».
Or pour ces acteurs, qui traitent des volumes considérables avec des ordres variant chaque microseconde, les stablecoins sont absolument indispensables. Mais qu’en est-il du maintien de cette parité, fondement des stablecoins ? Ses créateurs de ces crypto-actifs garantissaient jusqu’en 2021 qu’ils disposaient dans leurs réserves d’un montant équivalent de devises, échangeables à tout moment.
La réalité est un différente, notamment si on s’intéresse aux deux stablecoins dominant ce marché : Tether (78 milliards de dollars) et l’USD Coin (42 milliards de dollars) :
La société Tether a été condamnée en 2021 par différents régulateurs en raison de l’opacité du contenu de ses réserves. Depuis, elle a dévoilé la structure de ses actifs, qui n’est composée qu’à hauteur de 37 % de dollars et de bons du trésor, sans toutefois qu’aucune vérification indépendante n’ait été effectuée. De plus, les dirigeants n’ont aucune expertise financière et ont à leur passif des faillites de sociétés de logiciels en Chine. La confiance des investisseurs dans le tether est incompréhensible et rappelle les signes avant-coureurs d’une fraude comme celle de Madoff, quand la sphère financière s’interrogeait sur ses rendements mirifiques tout en continuant d’y investir…
USD Coin a lui aussi dû changer en 2021 la formulation sur son site web quant à la nature de ses réserves. Si celles-ci sont maintenant validées par un cabinet d’audit réputé, l’histoire a montré qu’eux aussi peuvent se révéler défaillants dans leur contrôle…
Si des doutes commençaient à s’instaurer sur la réalité des actifs mis en réserve, il est probable que les investisseurs en stablecoins liquideraient en panique leur position -stablecoin run – à un cours qui pourrait s’éloigner de la parité « promise », avec en conséquence des pertes très importantes.
Le sort des investisseurs en stablecoins est le cadet des soucis des régulateurs. Mais les conséquences des liquidations des réserves sont, en revanche, étudiées avec intérêt. En effet, 43 % des réserves de tether sont composées de billets de trésoreries de sociétés américaines. En cas de vente panique par des porteurs effrayés par une possible fin de la parité, le promoteur du stablecoin devra vendre ses actifs, au risque de provoquer une dislocation de ce marché et d’entraîner l’impossibilité pour ces sociétés émettrices de se refinancer à court terme, mécanisme qui rappellera à certains la crise financière de 2008.
Les régulateurs ont également mis en avant d’autres types de risques : un crash technique sur une des plateformes se propageant aux systèmes de paiements « classiques », le blanchiment d’argent et autres activités illicite, et enfin le monopole qu’aurait pu créer un géant comme Facebook et ses trois milliards d’utilisateurs quand il a voulu lancer avec des partenaires son propre stablecoin – le libra – en 2019.
L’industrie bancaire sur tous ces types de risque est sujette à des règles très strictes. Aux Etats-Unis, un rapport a été remis en novembre à Janet Yellen, la secrétaire au Trésor, sur l’urgence de réguler les stablecoinsavec comme proposition que le Congrès statue si les différents régulateurs américains n’arrivent pas à se coordonner rapidement.
Madoff ou Lehman ?
Que ce soit donc à travers une régulation qui risque de faire apparaître les failles de ces instruments et de diminuer ainsi leurs encours, ou plus directement suite à une panique sur le tether, les effets seront les mêmes : les hedge funds quitteront le marché des cryptos avec la liquidité artificielle qu’ils y apportaient. Le Bitcoin chutera alors de façon extrêmement violente, notamment en raison des liquidations des positions à effet de levier et l’absence de contreparties.
Les conséquences seront-elles de type « Madoff », avec des pertes limitées à quelques investisseurs, ou assistera-t-on à un « mini Lehman », où il apparaîtra que beaucoup d’agents économiques (banques, hedge funds, fonds d’investissement…) étaient exposés directement ou indirectement aux cryptos ? L’année 2022 va sans aucun doute nous apporter la réponse.