Opinion | Cet autre virus qui agite les marchés (Les Echos 12/03/2020)
Il n’y a pas que le coronavirus qui donne des sueurs froides aux places boursières. La stratégie d’investissement dite à « volatilité cible », que l’on observe en ces temps mouvementés, a toutes les apparences d’un virus, écrit Denis Alexandre.
L’apparition d’un nouveau coronavirus, en Chine, a pris de court les systèmes de santé mondiaux et contamine aujourd’hui les places boursières. Le Covid-19 n’est pourtant pas le premier virus à infecter les marchés. D’autres, connus depuis bien longtemps, et heureusement sans conséquences létales, font monter la fièvre des investisseurs. L’un d’eux est la recherche de rendement à tout prix.
Certaines stratégies automatiques de gestion quantitatives proposées par des banques et des sociétés de gestion d’actifs, sous le nom de « risk premia », prennent en effet l’apparence d’un virus. Les symptômes apparaissent dans des circonstances particulières, comme celles que nous vivons aujourd’hui avec ces violents mouvements boursiers.
Ainsi, la stratégie dite à « volatilité cible » représente un volume d’investissement de plusieurs dizaines de milliards d’euros et constitue le refuge pour certains gérants obligataires désespérés par le très faible niveau des taux d’intérêt. Son principe : le portefeuille d’investissement est réparti entre une partie dite « risquée » (actions, matières premières) et une partie « sans risque » (cash…). Le poids entre ces deux classes d’actifs varie au cours du temps selon la nervosité des marchés. Plus le marché devient volatil, plus l’allocation risquée diminue, selon une formule définie et ceci de façon automatique.
La violence des mouvements lors des clôtures de Wall Street de ces derniers jours montre bien l’ampleur du phénomène. Les principaux indices accélèrent leur hausse ou leur baisse dans la dernière demi-heure de la séance, dans des volumes très importants. En effet, pendant cette courte période de préclôture, les gérants de ces stratégies doivent réajuster leur allocation pour respecter les consignes, en l’occurrence acheter ou vendre des actifs risqués.
La période d’incubation de ce « virus financier », chez les investisseurs, prend souvent quelques mois, le temps de comprendre à la lecture des rapports de performance de leurs investissements les raisons à l’origine de leur évolution très négative.
Ils auront en effet, avec ce mécanisme, vendu leurs actions en pleine correction. Le réinvestissement se fera si le marché devient plus calme, souvent synonyme d’une reprise dont ils n’auront pas bénéficié, car ils devront attendre une diminution de la volatilité pour se repositionner.
Une bonne hygiène d’investissement
Cette stratégie est donc en totale contradiction avec les préceptes de l’Oracle d’Omaha, Warren Buffett : « Soyez craintif quand les autres sont avides. Soyez avide quand les autres sont craintifs. » Si la stratégie de « volatilité cible » a connu un tel succès, c’est que ses performances ont été excellentes ces dernières années. La volatilité étant très faible, l’allocation était de plus en plus investie en actions dans des marchés qui montaient, auto-entraînant ainsi la hausse.
Certains investisseurs vont certainement se reprocher de ne pas s’être fait vacciner contre ce virus. Il faut avoir en tête qu’élaborer un tel vaccin est très complexe, car le virus est mutant : de l’assurance-portefeuille qui a provoqué le krach de 1987 aux CDO en 2008 ou aux stratégies à volatilité cible d’aujourd’hui, ces techniques d’investissement abondent.
Plutôt que d’attendre un vaccin, le plus simple pour contrer cette épidémie financière est encore de pratiquer les « gestes » de bon sens. Exactement comme pour le Covid-19. Il n’existe aucune approche gagnante « automatique, sans risque ». L’innovation financière peut avoir au contraire un effet accélérateur des crises. La meilleure protection est de comprendre les mécanismes de chaque stratégie. Mais il est toujours difficile de garder une bonne hygiène d‘investissement quand tout va bien. Ce seront sans doute les organes de régulation qui imposeront un nouveau vaccin si un choc systémique se produit à cause de ce virus, mais celui-ci aura certainement déjà muté.