Recherche stagiaire d’été, payé 20 000 dollars par mois (L’Opinion 19/09/2023)
Les rémunérations proposées par de grands hedge funds américains illustrent la guerre des talents que se livrent les entreprises.
et été ma fille m’a parlé de l’un de ses amis, étudiant en Ivy League, qui postulait pour un stage rémunéré à hauteur de … 20 000 dollars par mois ! Je me suis dit que ces jeunes avaient quelques problèmes avec les zéros, mais quelle ne fut pas ma surprise d’avoir confirmation de ces chiffres.
Quels acteurs sont à l’origine de ces offres ?
Il s’agit des plus grands hedge funds dont les plus connus sont Bridgewater, Millenium, DE Shaw, Citadel, Two Sigma… Ils ont en commun de mettre en œuvre pour une partie de leurs portefeuilles des stratégies dites « quantitatives ». Ces stratégies reposent sur des modèles mathématiques complexes, utilisant des milliards de données pouvant provenir de sources très variées. Pour en mentionner quelques-unes, il s’agit des carnets d’ordre sur chaque action et leur exécution tout au long d’une journée. De l’analyse de tous les tweets en temps réel pour déterminer ceux qui pourraient avoir un impact immédiat sur une action, un secteur ou une devise. Mais aussi des dépenses, ligne à ligne, de cartes de crédit des consommateurs américains, permettant ainsi d’anticiper à la fois des chiffres macroéconomiques sur la consommation, et microéconomiques sur les chiffres d’affaires de telles ou telles marques. Ou encore des photos satellites des parkings des centres commerciaux. De leur niveau d’occupation, il est possible d’anticiper la mauvaise santé de certains distributeurs, et donc le risque sur leur dette.
Ces analyses complexes nécessitent les meilleurs cerveaux, avec des compétences très pointues, notamment dans le domaine de l’analyse de la donnée, la « data science ». En proposant de tels salaires à leurs stagiaires, ces hedge funds savent que les étudiants les plus brillants du monde, spécialisés dans ces domaines, vont postuler. La sélection impitoyable mise en place par les recruteurs de ces fonds va permettre d’identifier ces talents, de les tester pendant les deux mois de stage tant sur leur expertise scientifique que sur la capacité à intégrer la culture du hedge fund. Les « rescapés » de ce process recevront à la fin de leur stage une offre d’emploi valable dès leur remise de diplôme.
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Ainsi, ce processus permet-il à ces hedge funds de sélectionner bien en amont les meilleurs. Ils évitent ainsi de recruter ces mêmes profils quelques années plus tard chez des concurrents à des salaires encore plus élevés sans garantie d’une intégration réussie. Ces fonds alternatifs savent également qu’ils ne sont plus seuls dans cette guerre des talents à pouvoir proposer de telles rémunérations. En effet, ces data scientists et mathématiciens sont également très recherchés tant par les GAFAMs que par des startups spécialisées dans l’intelligence artificielle (AI) et notamment l’AI générative dont ChatGPT est une application. Ces startups comme Mistral en France ont réussi à lever auprès d’investisseurs des sommes colossales permettant d’embaucher ces profils avec ce type d’émoluments.
Sommes-nous de nouveau dans une bulle ?
À l’heure de l’anniversaire de la chute de Lehman Brothers, sommes-nous de nouveau dans une bulle qui rappellerait le début des années 2000 où la moitié des promotions des meilleures écoles françaises d’ingénieurs rejoignait l’industrie financière dans les activités liées aux produits dérivés ?
Si certaines rémunérations aujourd’hui sont sans doute bien plus importantes que celles de cette époque, elles ne concernent qu’un nombre extrêmement limité d’étudiants. En effet, cette demande sélective ne vient plus des banques pour lesquelles les activités de trading en compte propre sont interdites, mais des quelques hedge funds cités plus haut. La situation est donc différente sur cet aspect.
Les rémunérations de ces jeunes ne sont que le bas de la pyramide des « compensations » qu’offrent ces hedge funds dont les cadres dirigeants peuvent toucher chaque année jusqu’à des centaines de millions de dollars
Les rémunérations de ces jeunes ne sont que le bas de la pyramide des « compensations » qu’offrent ces hedge funds dont les cadres dirigeants peuvent toucher chaque année jusqu’à des centaines de millions de dollars. Ils font d’ailleurs pour la plupart partie de l’indice Bloomberg qui recense les milliardaires.
Se pose cependant la question de l’utilité de cette finance quantitative : ces cerveaux pourraient travailler sur des sujets de recherche apportant une vraie valeur à la société. À cette question, les gérants de ces hedge funds ont souvent la même réponse : leurs clients sont des fonds de pensions, des fondations d’université, des fonds souverains…. Les rendements souvent exceptionnels de leur fonds, malgré le coût de ces rémunérations, permettent de financer retraites, boursiers et bâtiments d’université, ou de nouvelles les infrastructures d’un pays.
Si ces arguments ont bien sûr du sens, il serait utile que ces investisseurs institutionnels incluent dans leurs critères ESG de sélection de ces hedge funds, leur politique de rémunération et comment ils redistribuent ou non une partie de ces sommes colossales à des projets sociétaux