Krach des cryptos : c’est pas moi, c’est lui (Les Echos 24/06/2022)
A l’heure où les cryptomonnaies connaissent une correction spectaculaire, les « crypto-évangélistes » cherchent des coupables, explique Denis Alexandre. Il évoque notamment la finance centralisée (CeFi) et la finance décentralisée (DeFi). Et plaide pour une réglementation de ce nouvel univers.
Les cryptomonnaies ont connu ces dernières semaines un krach d’une violence exceptionnelle : depuis le 1er avril, plus d’un trillion de dollars ont disparu. Cette classe d’actifs avait certes connu une croissance exceptionnelle avec une capitalisation montée jusqu’à 3 trillions de dollars, et qui avait attiré autant les investisseurs individuels à la recherche de rendements miracles que les fonds d’investissement voulant investir dans « ce nouveau monde » .
Si bien que de nombreux services de la finance traditionnelle s’y étaient greffés :
– des « Bourses » permettant de traiter ces actifs « cash » ou sous forme de produits dérivés ;
– des « établissements de crédit » proposant à leurs clients de pouvoir prêter ou emprunter en cryptomonnaies ;
– enfin, des émetteurs de stablecoins, censés reproduire les devises classiques (dollar, euro…) dans le monde crypto.
Pour les puristes, la finance centralisée est coupable
Ces nouveaux acteurs se sont développés avec deux modèles ; le premier, appelé « finance centralisée » (CeFi), rappelle le mode classique d’une entreprise où les décisions, gouvernance et processus sont décidés par le management. L’autre, dit « finance décentralisée (DeFi) », remplace toute possible intervention humaine par des programmes informatiques (« smart contracts ») : le client a ainsi en face de lui un protocole dont les éléments sont connus et infalsifiables.
Pour les puristes de la cryptomonnaie, le krach actuel n’est dû qu’à l’apparition de la finance centralisée.
Il est vrai que la chute du bitcoin s’est accélérée à partir du 9 juin suite au communiqué de l’établissement de crédit Celsius de bloquer tout remboursement. Celsius, dont un des slogans était « La banque n’est pas mon amie », a d’ailleurs fait appel à l’une d’entre elles, Citibank, pour l’accompagner dans sa tentative de sauvetage…
Beaucoup anticipent qu’un autre acteur de la finance centralisée subisse le même sort que Celsius : le stablecoin Tether sur lequel courent, depuis des années, des soupçons de fraude. S’ils s’avéraient réels, au vu de sa capitalisation de 70 milliards de dollars, les conséquences sur les marchés des cryptos seraient encore plus violentes.
La capacité d’analyse de l’humain peut être utile…
Il faut toutefois reconnaître que la finance décentralisée porte, elle aussi, une part importante de responsabilité dans les mouvements de marché. Son fonctionnement pour assurer la sécurité du système repose sur des liquidations automatiques dès que le niveau de collatéralisation n’est plus respecté par le client.
Dans un marché peu liquide et stressé, ces liquidations peuvent provoquer une chute encore plus importante des actifs avec un risque d’effet domino.
Or la capacité d’analyse de l’humain a sauvé de nombreuses fois le système financier mondial : la Fed, en organisant le sauvetage du hedge fund LTCM en 1998 par ses principales banques créditrices, ou plus récemment l’Intercontinentale Exchange, en ne liquidant pas en pleine crise du Covid les positions de Citibank qui, pour des raisons techniques, avaient quelques heures de retard pour le paiement d’un appel de marge.
Le risque de propagation à l’économie réelle
Les caractéristiques de ces liquidations potentielles sont connues de tous grâce à la transparence inhérente à la blockchain. Les hedge funds ont bien compris les avantages qu’ils pouvaient en tirer en « manipulant » le marché, notamment le week-end, pour déclencher ces liquidations.
L’absence totale de réglementation du monde des cryptos est la première raison de cette folle exubérance tant sur la finance centralisée (règles en capital, transparence des investissements, ratios de liquidité) que sur la finance décentralisée (manipulation, abus de marché).
A ce jour, notamment en raison de pratique marketing anarchiques, les investisseurs individuels sont les grands perdants de ce jeu de dominos.
Espérons que les régulateurs sauront prendre les bonnes mesures pour que la prochaine bulle crypto ne se propage pas à l’économie réelle. Il est plus que temps.