Licornes: attention dopage ? (L’Opinion 28/10/2021)
Réjouissons-nous de la naissance de nos licornes mais prenons garde aux jeux de certains acteurs, et aux valorisations qui en découlent. Un retournement de marché pourrait avoir des conséquences identiques à l’éclatement de la bulle de 2001
Le sol français a été fertile cette année pour faire éclore des licornes. Ce succès de la French Tech met en valeur des qualités connues de l’écosystème tricolore, le niveau de ses ingénieurs, la mentalité entrepreneuse des jeunes diplômés, le rôle de Bpifrance notamment dans la phase d’amorçage, et l’accompagnement de plus en plus marqué de fonds de venture capital (VC).
L’élément catalyseur de cette accélération a cependant été l’arrivée de fonds étrangers capables de proposer des levées importantes à des niveaux de valorisation extrêmement élevés, notamment quand on les compare aux levées précédentes qui pour certaines dataient de moins d’un an. Le véhicule Vision Fund de Softbank a investi des centaines de millions de dollars dans trois de nos licornes : Sorare (cartes « virtuelles » de joueurs de football à collectionner), ContentSquare (analyse d’utilisateurs de sites web) et Swile (digitalisation du chèque-restaurant). Ces financements constituent naturellement un atout pour ces entreprises en forte croissance. Mais, après les Spacs et le bitcoin, les valorisations des licornes seraient-elles un nouvel exemple de bulle dans un marché où les liquidités abondent ? Des investisseurs sont en effet prêts à prendre le plus de tickets possibles, quelles que soient les qualités des cibles, en espérant une plus-value rapide lors de leur potentielle entrée en Bourse.
Le dirigeant d’une de nos licornes racontait que le gestionnaire de fonds Tiger Global pouvait investir des centaines de millions dans des start-up en moins d’une semaine, sans avoir effectué la moindre « due diligence »
Juge de paix. Softbank a investi 14 milliards de dollars au deuxième trimestre dans 47 nouvelles start-up, ce qui laisse songeur sur la profondeur des investigations menées sur un spectre aussi large. Il n’est pas le seul. Le dirigeant d’une de nos licornes racontait, lors de l’événement France Fintech, que le gestionnaire de fonds Tiger Global pouvait investir des centaines de millions dans des start-up en moins d’une semaine, sans avoir effectué la moindre « due diligence ».
La mise en Bourse d’une licorne constitue le vrai juge de paix. Le cas de l’américain WeWork est l’exemple le plus frappant. Valorisé 47 milliards de dollars en 2019, juste avant son entrée sur le marché, un examen plus détaillé des analystes financiers a montré qu’il était en quasi-faillite. Il vient d’être coté pour 9 milliards de dollars, via son absorption par un Spac…
Plus près de nous, Believe (distribution numérique de musique) a chuté de 13% le premier jour de sa cotation à Paris en juin, et n’a toujours pas retrouvé son cours d’introduction. OVH (cloud) a, lui, progressé, mais après avoir prudemment choisi un prix en bas de fourchette.
Réjouissons-nous de la naissance de nos licornes mais prenons garde aux jeux de certains acteurs, et aux valorisations qui en découlent. Ces niveaux commencent à se diffuser à des start-up en « early stage » pouvant rendre leur financement plus risqué pour les VCs. Un retournement de marché pourrait avoir des conséquences identiques à l’éclatement de la bulle de 2001.