Les régulateurs toujours en retard d’une bulle? (L’Opinion 02/02/2021)
Sommes-nous dans une bulle financière ? Il n’y a toujours pas de consensus sur la question en ce début 2021. Mais il peut être utile de se projeter dans le futur, par exemple d’ici quelques mois, pour envisager les conséquences qu’un futur éclatement pourrait avoir sur la réglementation.
La crise de 2008 avait provoqué un durcissement jamais vu de la règlementation des établissements financiers. Les évènements que nous venons de vivre fin 2021, avec l’éclatement de la bulle « technologique » du bitcoin et des obligations haut rendement, sont en train d’engendrer des changements règlementaires qu’il était difficile d’imaginer ne serait-ce qu’il y a un an.
« Gamestop rule »
Le premier changement, dit « Gamestop rule », concerne les courtiers en ligne à destination des particuliers, dont Robinhood est le meilleur représentant. Robinhood a connu une énorme croissance au début de la crise du Covid en 2020. Cette dynamique a permis à de nombreux traders novices, appâtés par la facilité et le faible coût des opérations, d’acquérir non seulement des actions mais également tous les outils de levier normalement destinés aux professionnels. Et ceci sans en avoir les compétences…
Cette addiction toute neuve à la spéculation portait dès son origine un risque d’overdose.
Avec l’effondrement de certaines actions, dont bien sûr l’action Gamestop, un nombre extrêmement important de clients de Robinhood ont été ruinés, provoquant un nombre de suicides supérieur au nombre de décès du covid dans la tranche des 25-40 ans, et un nombre encore plus important de faillites personnelles et de divorces…
La réaction des régulateurs a consisté à mettre en place de nouvelles règles sur deux axes :
- l’une oblige dorénavant ces brokers à évaluer précisément, à la manière d’un examen « online » et non plus sur une base déclarative, les connaissances et ressources financières des clients avant de les laisser trader ces types de produits.
- L’autre impose aux réseaux sociaux et forums comme Reedit une modération sur les discussions pouvant s’apparenter à de la manipulation de cours, comme cela existe dans le domaine de l’incitation à la haine.
« Tesla rule »
Autre changement règlementaire, le « Tesla rule », destiné à mieux encadrer les fournisseurs d’indice. Un des catalyseurs de cette bulle a en effet été l’inclusion de Tesla dans le SP500, alors que l’entreprise d’Elon Musk n’était pas encore bénéficiaire sur son coeur de métier de vente de voitures. L’annonce de cette inclusion a provoqué une flambée sur ce titre de 400$ à 695$, et un engouement supplémentaire pour la valeur. Galvanisés par les paroles de leur nouveau prophète Elon Musk et de certains analystes justifiant des objectifs de valorisations stratosphériques par des développements technologiques inconnus à ce jour mais présentés comme certains, les Robinhood traders imaginaient le titre montant jusqu’au ciel…
L’arrivée massive des concurrents de Tesla sur le véhicule électrique a provoqué l’effondrement de son cours à 150$ (cours correspond cependant toujours à une valorisation deux fois supérieure à celle de Toyota). En sus d’avoir ruiné de nombreux fidèles d’Elon, cette chute a fait perdre l’équivalent de 1% aux épargnants investis dans le SP500. Désormais il faut la validation du régulateur pour l’inclusion d’une nouvelle action dans les principaux indices.
« Bitcoin rule »
Quant à la « Bitcoin Rule », elle concerne les trackers (ETFs). La spéculation sur le bitcoin avait elle aussi connu une accélération en 2021 quand la SEC, après de nombreuses pressions, avait finalement autorisé des trackers indexés sur le Bitcoin. Cela a permis à de nombreux investisseurs d’acheter des crypto assets aussi simplement qu’une action, provoquant une flambée spéculative qui avait fait passer le bitcoin de 30 000 à 146 000$ (objectif qu’avait fixé un analyste de JP Morgan en janvier 2021) pour le plus grand bonheur des fonds spéculatifs et pour mémoire des 5% de propriétaires qui détenaient 95% des bitcoins. La chute à 3 000$ a elle aussi provoqué bien des dégâts. La « Bitcoin Rule » impose dorénavant des règles beaucoup plus strictes sur les caractéristiques des sous-jacents (flottant, marché de cotation…) support d’ un ETF ou un Trust Fund ( cf le Grayscale Bitcoin Trust qui a vu sa valeur chuter de 99% …)
« SPAC rule »
Toujours dans le domaine des instruments listés sur une bourse, les régulateurs sont en train de finaliser la « SPAC rule » ; pour mémoire, ces Special Vehicule Acquisition Compagny (SPAC) sont ce qu’on appelle en français des « coquilles vides » cotées en bourse. Le « sponsor » du SPAC rachète la coquille puis fait une augmentation de capital qu’il place sur le marché à l’aide d’intermédiaires bancaires. Les « sponsors » de ces SPACS ont des profils très différents : de Jay Z à Xavier Niel en passant par Tidjane Thiam (ex CEO de Credit Suisse), ils promettent aux investisseurs, grâce à leur expertise, d’acquérir dans ces véhicules des sociétés à très fort potentiel. Le point commun de ces sponsors concerne leur indécente rémunération : en moyenne 20% des montants levés, quel que soit les performances de leurs investissements. Vingt milliard de dollars ont été levés de cette façon en 2020 ; ce type d’investissement très risqué s’appelle en réalité du private equity et n’est autorisé qu’à des investisseurs dits qualifiés (professionnel ou disposant de l’assise financière autorisant ces prises de risque). Aujourd’hui, avec l’éclatement de la bulle, 80% de ces SPAC valent moins de 20% de leur prix initial. La « SPAC rule » interdit désormais d’utiliser ces coquilles pour contourner les règles de distribution aux particuliers.
« Reverse Volcker rule »
L’éclatement de cette bulle s’est propagé au marché du crédit et notamment à celui des obligations à haut rendement, qui a vu son rendement passer en deux semaines de 4% à 8% (pour mémoire son niveau de début 2019). La liquidité sur cette classe d’actif ayant complètement disparu.
Depuis notamment les règles Volcker et les règles de Bâle mises en place au début des années 2010, les banques d’investissement n’ont en effet plus la possibilité d’assurer la liquidité du marché en gardant des titres dans leurs livres. Le projet de régulation « Reverse Volcker » leur redonnant cette possibilité est vu paradoxalement dorénavant comme un stabilisateur du système financier….
**
*
Il faut se réjouir de ces décisions de nos régulateurs, qui montrent leur capacité de réaction suite à une crise. Mais il est dommage qu’il n’y ait pas davantage d’anticipations et qu’il faille l’éclatement d’une bulle aussi violente pour voir apparaitre de telles mesures. On aurait pu rêver une mise en place de certaines pourquoi pas dès le premier trimestre 2021…